fbpx

Entretien avec Claire Lecreux, céramiste, Atelier Mataguerre 

Atelier Mataguerre,
@crédit photo Leah Guillout

Depuis 2013, Claire Lecreux et Thomas Villette travaillent en couple dans leur atelier-boutique, l’Atelier Mataguerre, niché dans le centre historique de Périgueux.
Claire conçoit et fabrique au tour de potier des collections de céramiques utilitaires en grès, qui se caractérisent par la sobriété des formes, la diversité des couleurs et leur légèreté. Thomas explore et peint à l’aquarelle Périgueux et ses environs, et décline son travail en gravure au sein de l’atelier. Ensemble, ils ont aussi développé une série de pièces en porcelaine, décorées à la main, faites pour le quotidien, où ils réunissent leurs savoir-faire respectifs.

Quel est votre métier, Claire Lecreux ?

Je suis céramiste. Je crée des poteries utilitaires et décoratives en grès, que je vends dans notre atelier-boutique, la vente étant une autre facette de mon métier.

Comment êtes-vous devenue céramiste ?

J’ai un parcours classique Arts appliqués, suivi du BTS Arts céramiques à l’école Olivier de Serres, de 2004 à 2006. Après mon diplôme, j’ai tout de suite commencé à travailler mais, tout en travaillant j’ai continué à me former. J’ai travaillé dans un atelier de sculpture, où je supervisais tout ce qui était technique. En parallèle à cela, pendant trois ans, j’ai continué la formation professionnelle chez Augusto Tozzola, qui m’a appris à tourner. Par la suite, j’ai également passé le CAP tournage. En effet, à l’issue du BTS, j’étais formée à la création, ce qui est très utile et qui me sert beaucoup aujourd’hui, mais je manquais de technique, je ne maîtrisais pas mon métier.
Et même après cela, j’ai continué à me former : j’ai pris des cours pendant un an chez une céramiste à Paris, Catherine Jeantet, qui nous apprenait à créer nos émaux. Avec la création, l’apprentissage du four, l’apprentissage des émaux, je pouvais me débrouiller pour faire une collection, que je maîtrisais de A à Z.
On apprend tout au long de sa vie, mais ça, tout le monde le dit 🙂..

Atelier Mataguerre,
@crédit photo Leah Guillout

Quand avez-vous créé votre entreprise

J'ai toujours voulu créer mon entreprise. Je suis moi-même fille de commerçants, donc cela m’a toujours semblé évident et, déjà quand j’étais en formation, je me voyais avoir une vie comme aujourd’hui, c’est-à-dire avoir un atelier-boutique. Le projet n’était peut-être pas encore très précis, mais c’était à ça que j’aspirais.
J'ai créé mon entreprise en 2009, à Paris. Mais cela a été loin de fonctionner tout de suite. Monter mon atelier, apprendre à gérer une entreprise a été pour moi très long et très périlleux. À
 la sortie de l’école, où on n’apprenait pas ces aspects-là, je n’avais pas d’argent, je voulais rester à Paris avec mon mari, il n’y avait pas de travail dans mon secteur, j’étais très jeune et, évidemment, je n’avais pas assez d’expérience pour monter une entreprise. Cela a donc a été très compliqué pour moi, je ne pouvais compter que sur les encouragements de ma famille.
J’ai eu beaucoup de chance de trouver un travail dans un atelier qui me permettait d’exercer mon métier. Et je pense que d’avoir été chez Tozzola a été une chance aussi. Parce que quand on est très jeune, on peut décrocher rapidement, comme cela a été le cas pour certains de mes collègues. Je pense que si je n’ai pas décroché c’était grâce à Tozzola, il était très encourageant.

Pour revenir à mon entreprise, au bout de plusieurs années de travail dans l’entreprise où j’étais employée, je me suis associée à une autre céramiste, qui avait la possibilité d’avoir un local. On se débrouillait, mais on n’y connaissait pas grand-chose, alors forcément cela a été compliqué.
Après deux ans d’association, j’ai fini par monter un atelier toute seule mais, une fois de plus, pour toutes les raisons que j’ai citées, cela s’est avéré compliqué, je n’avais pas les moyens de faire tourner l’atelier. Par exemple, et cela me désespérait, j’ai souvent eu besoin de faire des dossiers pour des banques, mais je ne savais pas comment m’y prendre, ce que c’était qu’un business plan, je paraissais trop jeune, on s’est parfois moqué de moi, ça a pu beaucoup me décourager.
J’étais sur le point d’abandonner. De plus, comme je manquais de structure, cela se ressentait également sur le plan de la création.
Mais avec Thomas, mon mari, nous nous sommes motivés et nous avons tout recommencé. Nous nous sommes installés à Périgueux, ville touristique, où nous avons repris notre projet de A à Z. Mon mari est architecte, il a arrêté cette activité pour s’installer avec moi. Nous avons eu de la chance de trouver un local qui nous permettait de mener notre travail tel que je l’entendais depuis le début, c’est-à-dire avec une boutique et un atelier. Et qui était aussi à notre portée financière. Alors on s’est lancé. Et nous avons appris en faisant des erreurs.

Entre le jour où je suis sortie de l’école et le jour où j’ai monté l’atelier à Périgueux, où ça n’a pas fonctionné tout de suite, il a fallu du temps, 8 ans se sont écoulés !

Pouvez-vous estimer le rapport entre le temps que vous accordez à la création, à la fabrication, et celui consacré à la gestion de votre entreprise ?

C’est très difficile d’estimer ce rapport, qui change dans le temps, suivant l’évolution de son activité. De plus, comme nous travaillons ensemble, avec mon mari, on parle du travail à la maison, le dimanche, en balade ... c’est tellement imbriqué, c’est impossible de dire.

Quand nous sommes arrivés à Périgueux, nous étions sans doute un peu inconscients des enjeux, et j’ai fait des pièces, mais sans forcément très bien réfléchir à mes collections. J’ignorais ce que les gens attendraient de moi : des pièces uniques, ou de petites séries abordables ? Au début, j’ai plutôt misé sur la seconde option, je craignais d’être trop chère, je n’ai pas osé vraiment montrer le meilleur de moi-même. En plus, je donnais des cours, or je souhaitais me concentrer sur la création.
Alors nous nous sommes donné une année pour que j’imagine mieux mes collections, en termes de créativité et aussi de prix, et pour que je produise comme je l’entendais. Je me suis fixé un objectif de chiffre d’affaires, il suffit de faire quelques calculs pour savoir ce qui est viable et ce qui ne l’est pas. En termes de style, c’est en faisant que nos collections se dessinent et s’améliorent. Il a fallu plusieurs années pour qu’elles aient un style bien à elles, dans lequel on reconnait notre patte.

Je dirais que nous sommes un peu comme les agriculteurs, avec des périodes dans l’année. Pour nous, il y a deux périodes à ne pas rater : juillet-août et décembre.
Je pars du principe qu’il faut avoir beaucoup de choses à proposer, beaucoup de choix disponibles : si les gens qui passent par hasard dans la rue ne trouvent pas ce dont ils ont envie, ils ne vont pas revenir.
L’école m’a peut-être appris ça, à imaginer à qui s’adressent nos créations, j’essaie donc de comprendre ce que mes clients attendent de moi, et j’essaie d’y répondre. Je mets à profit les périodes creuses pour fabriquer, selon un plan de production établi en début d’année. A partir de janvier, je travaille énormément, sans relâche. La fabrication complète d’une pièce émaillée dure deux mois, alors à partir du mois de mai on ne peut plus faire de pièce pour l’été. Parfois, je prépare dès le printemps certaines de créations pour Noël, parce que la deuxième période creuse, de septembre à novembre, est trop courte.

 

Atelier Mataguerre,
@crédit photo Leah Guillout

Atelier Mataguerre,
@crédit photo Claire Lecreux

Par ailleurs, avec Thomas, nous assurons également la vente. Petit à petit, nous nous sommes distribué les rôles. C’est plutôt moi qui fabrique.
Avec mon mari, nous réalisons ensemble une collection de porcelaine. Il n’est pas potier, il réalise des gravures, des aquarelles, quelques fois de la céramique, mais pas au tour du potier. Alors que moi je me concentre beaucoup sur le tour de potier, qui est ma spécialité, sur les cuissons, les émaux, Thomas a un rôle très polyvalent, c’est plutôt lui qui prend en charge les clients, il fait la comptabilité, des démarches administratives …

Nous dirions que je donne l’impulsion et que Thomas va faire en sorte que cela aille au bout des choses, c’est précieux de pouvoir travailler à deux.

Dans votre parcours d'artisan d'art, y a-t-il eu un moment où vous avez été confrontée à un défi, à un cap, dans le développement de votre activité ? Et comment l'avez-vous abordé ?

On en a régulièrement des caps. Le dernier c’était il y a presque un an. Nous avons pris un deuxième local. Notre atelier est petit et, comme je le disais, je produis beaucoup, je n’avais pas la place de stocker. Nous avons pris un local voisin pour en faire un deuxième atelier. Cela me permet de produire davantage, d’avoir deux fours, d’aller plus vite et plus efficacement.

Un petit cap c’est aussi d’avoir parfois des employés, pour des petits boulots d’été, qui leur permettent aussi de se former. Pour nous, ce n’était pas évident de franchir le cap pour employer quelqu’un.

Et nous nous remettons en question régulièrement. Comme lorsque nous nous sommes aperçu de l’importance d’avoir une boutique bien agencée, une apparence soignée pour accueillir les clients … c’est vrai que nous avons démarré de façon très artisanale, et que nous négligions un peu ces aspects-là. Le déclic a été l’installation d’une boutique voisine, très soignée, alors nous nous sommes mis à niveau 🙂.
Nous restons attentifs aux tendances, aux attentes des clients, à l’installation d’un nouveau professionnel …
Et on essaie de se former. C’est peut-être anecdotique mais, pour me confirmer ou me rassurer dans mes actions, j’ai eu besoin de rencontrer une structure comme AMEADE, hélas bien après avoir créé mon entreprise, moment où j’en avais le plus besoin.

Qu est votre marché aujourd’hui ?

En plus des particuliers, nous avons récemment acquis une clientèle plus professionnelle.
Maintenant, quand les gens viennent chez nous, on entend souvent cette phrase, « c’est the place to be ». Certains clients viennent exprès dans la région, après nous avoir découvert dans La Maison France 5.
Mais il a fallu faire ses preuves, le bouche à oreille, la réputation comptent énormément ici. On peut avoir un très beau site Internet mais, si on n’est pas accueillants, ou si nos créations ne sont pas de qualité, on n’est pas accepté. Nous avons juste fait notre métier et petit à petit nous avons été adoubés, alors que nous ne sommes pas de la région.
Le fait qu’il y ait des restaurants gastronomiques des environs qui fassent appel à nous a contribué à asseoir notre réputation. Ils sont venus nous voir et, le fait qu’on soit sur leur table nous a apporté une nouvelle clientèle, plus haut de gamme.

Certains céramistes ont choisi de ne travailler que pour des restaurants. Nous, nous ne visons pas particulièrement ce marché. Je crois que, si on nous sollicite, c’est aussi pour la qualité de notre travail sur le grès. Ce sont des créations plus modernes, plus sobres, avec un traitement tout en finesse et en légèreté de la matière, assez différent, de que ce qu’on voit d’habitude.
A titre exceptionnel, j’ai déjà réalisé des pièces sur commande. Par exemple, Cyril Lignac souhaitait l’un de nos modèles qui n’était plus disponible, je me suis organisée pour en réaliser et les mettre à disposition dans les temps.

Pour résumer, je dirais que notre marché aujourd’hui est principalement un marché de particuliers, de plus en plus qualifié, auquel s’ajoute une part de clientèle professionnelle haut de gamme.

Quelle est la place de la vente en ligne dans votre démarche commerciale ?

J’évoquais plus tôt notre travail sur la finesse de la matière. Or, si je vendais en ligne, quelle que soit la qualité des photos, cette légèreté ne peut pas être perçue de la même manière que lorsqu’on soupèse la pièce.
Je me suis interrogée sur la vente en ligne, tout le monde me le demande, j’ai même suivi des formations sur ce sujet. Nous avons des clients qui aimeraient acheter en ligne, des clients déjà venus à l’atelier et qui aimeraient retrouver certaines créations en ligne.

Pendant quelque temps, j’ai proposé des créations sur la marketplace d’Empreintes, mais ça ne me convient pas. Je ne vois pas les gens, je ne sais pas pourquoi ils achètent. Par ailleurs, j’ai constaté que des créations qui se vendaient très bien dans notre boutique, ne se vendaient pas sur Internet.

Et, surtout, même si on a l’envie ou la volonté de proposer de la vente en ligne, il s’agit, en termes de gestion du stock, de packaging, de communication, d’une logistique à part entière, contraignante pour une création artisanale comme la nôtre. Car la limite, c’est aussi, à ce jour, ma capacité de production, d’autant plus que nous avons aussi une boutique physique.
Je m’interroge car nous sommes aussi attachés aux circuits courts. Nous verrons, peut-être que si j’avais un employé et une plus grosse production, nous pourrions proposer une collection pensée spécialement pour la vente en ligne.

Atelier Mataguerre,
@crédit photo Leah Guillout

Avec le recul, après plus de 10 ans d'activité, de quoi êtes-vous la plus fière, la plus heureuse, dans votre parcours ?

Avec mon mari, nous sommes très fiers d’être là où nous en sommes aujourd’hui, alors que nous sommes partis de rien. Thomas m’a beaucoup soutenu dès le début, même lorsque j’étais étudiante, je ne pensais pas qu’on y arriverait aussi bien en partant de zéro.

D’autant que nous avons un format particulier, à ma connaissance il n’y pas beaucoup de céramistes d’art qui fonctionnent comme nous, avec leur boutique adossée à leur atelier.
On ne m’a pas particulièrement aidée, alors je suis fière d’avoir tenu bon, cherché du soutien, et chercher encore et toujours à faire progresser la création et l’entreprise.
On ne l’a pas volé, je dirais.

Que répondriez-vous un quelqu’un qui vous dit « je veux faire ce métier, et je veux en vivre » ?

Pour vous répondre, je prends l’exemple de mon frère, qui travaille le métal. Il est également diplômé d’Olivier de Serres, il a fini ses études il y a trois ans et il a monté un atelier collectif avec des amis près de Paris.
Il est un peu dans la même situation que moi, à mes débuts. Alors je lui conseille de ne pas cesser d’exercer son métier, de profiter des emplois qui lui permettent de gagner sa vie et de continuer d’exercer son savoir-faire, pour pouvoir par la suite investir dans sa propre entreprise.
L’important, à mon avis, est de rester dans son domaine même si, au début, les conditions ne sont pas toujours satisfaisantes et qu’on n’est pas toujours bien traité ou bien considéré.
La priorité, c’est de ne pas perdre son cap et de s’exercer à pratiquer son métier avant de pouvoir s’installer. Car, quand on se lance à son compte, il faut se donner un objectif précis et prendre les bons conseils un peu partout là où on peut les trouver : bien s’entourer et comprendre le fonctionnement d’une entreprise car je connais, hélas, plusieurs situations où, malgré le talent et les moyens de départ des créateurs, faute de compétences de gestion, les entreprises ont périclité au point de tout simplement disparaître.

Atelier Mataguerre, @crédit photo Leah Guillout

#AMEADE #métiers d’art #création #design #chefs d’entreprise #parcours #artisan d’art #formation #stratégie #portrait