Jonathan Ausseresse
©atelier Verre Design
Quel est votre métier, Jonathan Ausseresse ?
Je suis verrier décorateur, je travaille les techniques de l'émaillage et du thermoformage, principalement pour des applications dans les domaines de l'architecture d'intérieur, de la décoration, du mobilier d'art, des luminaires …
Comment vous êtes-vous formé à ce métier qui englobe plusieurs savoir-faire ?
Oui, il y a pas mal de savoir-faire. J'ai eu la chance de grandir dans un environnement où le verre était omniprésent, mon père étant vitrailliste de profession depuis plus de 40 ans. Tous les week-ends j'étais à l'atelier, au début pour aider mon père, puis pour commencer à construire mon univers créatif dans cet atelier.
J'ai tout de suite su que je voulais en faire mon métier, alors je ne me suis pas contenté de rester dans l'atelier de mon père, j'ai orienté toutes mes études pour pouvoir me lancer et créer ma propre entreprise.
En observant le travail de vitrailliste de mon père, j'étais moins intéressé par la partie restauration de vitraux, mais j'étais très attiré par le fait qu'il émaillait lui-même son verre. Le plus souvent, les vitraillistes achètent leur verre chez des souffleries, mais mon père avait pour particularité de fabriquer son propre verre coloré, et c'était ce qui me plaisait beaucoup dans le travail du verre.
Alors j'ai fait un bac arts appliqués, avec un enseignement en design et architecture d'intérieur, à Lyon à La Martinière. Ensuite je me suis formé à l'École nationale du verre, à Moulins, où j'ai pu passer un CAP en un an après mon bac, puis un diplôme des métiers d'art en deux ans, c'est ce diplôme qui a été ensuite remplacé par le DNMADE.
Vous avez créé votre propre entreprise. En quelle année vous êtes-vous lancé, et avec quel objectif ?
J'ai créé mon entreprise, Verre Design, en 2015, à la sortie de l'école. Mon objectif principal était d'aller voir les artisans : ébénistes, ferronniers d'art, métalliers, marbriers … tous les artisans qui utilisent quotidiennement du verre dans leurs créations, mais du verre float, du verre classique, sans présence.
Et moi j'arrivais avec une boîte d'échantillons et je montrais toutes les possibilités que pouvait offrir le verre.
J'ai contacté des entreprises plutôt haut de gamme, car le verre est un matériau assez cher, qui demande beaucoup de temps de travail, beaucoup de recherche, beaucoup d'énergie. L'accueil a été bon, ma démarche a débouché directement sur de belles commandes comme, par exemple avec de grands ébénistes, Volpon, à Lyon. C'est comme cela que je me suis lancé et que tout a démarré.
Atelier ©atelier Verre Design
Comment vous organisez-vous, entre le temps que vous accordez à la création, à la fabrication et celui que vous consacrez à la gestion de votre entreprise ?
Lorsque j'ai créé mon entreprise, je me sentais plutôt préparé à m'en occuper, puisque mon père avait, et a toujours, cette volonté de transmission, que ce soit en termes de savoir-faire ou de gestion. Il m'a beaucoup préparé, il m'a beaucoup partagé son expérience, sur la relation clientèle, par exemple, et sur la gestion d'entreprise à l'échelle globale. Je me sentais assez armé pour aller voir mes prospects.
Mais, comme le verre est vraiment une matière particulière, c'était peut-être plus au niveau technique que j'étais moins prêt, puisqu'au début j'ai fait des erreurs qui m'ont coûté de l'argent et du temps, mais c'est comme cela que l'on apprend aussi.
Aujourd'hui, je travaille seul, car mon atelier ne peut pas accueillir des stagiaires ou des apprentis. À terme, j'aimerais pouvoir engager, mais cela voudrait dire changer d'atelier.
Mon atelier se situe à 1h30 de route de chez moi. Il est aménagé en une partie atelier et en une partie habitation, et j'y vais en moyenne 4 jours par semaine, qui sont des journées de production. J'accorde donc en moyenne 2 jours par semaine à la gestion de l'entreprise, au commercial, à la comptabilité. Avec un jour de congé quand-même, c'est important. Bien entendu, il y a des variations, quand je suis à l'atelier je ne m'interdis pas de répondre à des appels ou à des e-mails, de même que, lorsque je suis au bureau, j'aime bien réfléchir à mes créations, pour pouvoir être plus efficace à l'atelier.
Alors, même si parfois c'est pénible, c'est vrai que cette situation géographique m'aide à cloisonner. Et puis, comme je vous le disais, j'ai grandi avec mon père artisan, donc dès tout petit j'ai très bien vu les heures passées devant l'ordinateur à s'occuper de la gestion, à répondre aux clients. Mon père a toujours fait sa comptabilité lui-même, et maintenant je le fais aussi, d'ailleurs cela me permet d'avoir constamment un regard plus précis sur la situation de l'entreprise, ce qui me paraît important.
Pour rebondir sur ce que vous disiez sur l'observation du travail de votre père, diriez-vous que dans l'apprentissage d'un métier un métier d'art il est important, en plus des études dans une école, d'être immergé dans la vie de l'atelier ?
Pour moi c'est absolument fondamental. Clairement, les stages que j'ai pu faire quand j'étais à l'école m'ont appris énormément. Mon père a une façon de gérer son entreprise, mais chaque artisan à la sienne propre. Il est très important de s'ouvrir à d'autres milieux et de découvrir plein de choses.
L'école que j'ai fréquentée proposait un enseignement de très grande qualité, avec des professeurs qui font un travail extraordinaire, avec une volonté de créer et de partager des compétences précieuses pour l'entreprenariat. Les stages en entreprise sont complémentaires de l'enseignement de l'école, les deux doivent fonctionner ensemble.
Par ailleurs, de plus en plus de professionnels vont dans les écoles faire des workshops, des conférences, je trouve cela génial, c'est encore un plus par rapport aux stages. Je suis moi-même de plus en plus sollicité par mon ancienne école ou par des écoles à Paris ou ailleurs, et je partage avec plaisir mon expérience, je ne crains pas une forme de future concurrence.
A chacun de créer sa propre identité artistique, pour moi il n'y a pas vraiment de concurrence dans nos métiers. Le partage que l'on peut avoir avec ses collègues ou même avec de futurs collègues me paraît bénéfique pour notre métier, cela contribue à le développer et à le mettre en valeur. Autrement, ce sont des savoir-faire qui vont se perdre, alors oui, il faut travailler ensemble.
Est-ce pour ces raisons que vous travaillez régulièrement en collaboration avec d'autres artisans d'art ou des designers ?
Fluence ©fredericmartin
Travailler en collaboration est stimulant, cela fait évoluer la créativité, l'approche de la matière.
Pour moi, les premières collaborations ont eu lieu dès que je me suis lancé dans mon entreprise. Comme je le disais plus tôt, je suis allé voir beaucoup d'artisans non pas pour simplement leur "vendre du verre", mais je voyais cette démarche sous un angle collaboratif. Lorsque l'on crée, par exemple, un plateau de table en verre sur mesure, une collaboration s'installe avec l'ébéniste, cela devient un dialogue qui fait évoluer les matières.
Chacun a sa vision différente de la matière et, comme je suis passionné par la recherche dans ce matériau, j'ai toujours aimé ce lien avec les collègues. Je trouve cela fascinant, la rencontre avec quelqu'un qui comprend ma matière, qui comprend ses possibilités et qui se dit, tiens, ça peut aussi mettre en valeur ma propre matière, le bois, le métal, le marbre … c'est extrêmement valorisant pour chacun d'entre nous, et je pense que cela apporte une touche unique et rare à nos créations.
Et il y a un deuxième type de collaborations, encore plus poussées sur le plan créatif, comme celle que j'ai établie avec Gaëtan Didier, un designer spécialisé dans les métiers d'art. Gaëtan Didier était mon professeur à l'École nationale du verre, la collaboration s'est mise en place extrêmement naturellement : il est venu à l'atelier, et nous avons quasiment immédiatement embrayé sur des créations.
Les premières semaines à l'atelier, nous avons coupé des morceaux de verre, nous les avons mis dans le four et nous avons avancé au fur et à mesure. C'est un designer passionné, avec une vision, avec des compétences assez impressionnantes, nous avons collaboré pendant au moins 5 ans, pour réaliser 3 collections différentes. Nous avons réalisé une table basse, la plus importante de notre création commune avec un marbrier, nous avons créé aussi une collection de bols … beaucoup de choses différentes. A travers ses questions en apparence naïves sur la matière, il me poussait dans mes retranchements et cela m'obligeait à réfléchir aux possibilités de travailler le verre. C'était passionnant, et c'était aussi quelqu'un qui n'avait pas peur de mettre les mains dans le cambouis : il émaillait, il coupait, ce n'était pas juste quelqu'un qui envoyait des plans par e-mail et qui disait "tu me fais ça". C'est cette forme de collaboration créative que j'aime beaucoup, c'est très enrichissant.
Quel est votre marché aujourd’hui ?
J'ai commencé l'entreprise en partant du principe que je voulais faire du verre sur mesure. C'est ce qui s'est passé et c'est ce que je continue de faire aujourd'hui. Mais, avec le temps, il est apparu aussi une légère frustration, celle de faire du verre pour les autres, pour le goût des autres. Alors j'ai commencé à créer des pièces plus personnelles, des objets d'art.
Aujourd'hui, mon marché se répartit entre les créations sur mesure pour des artisans, des décorateurs, des architectes, qui représentent environ 40% de mon travail, et les créations objets d'art, qui s'adressent à la fois à des particuliers et à des professionnels comme des galeries et des décorateurs. Ce qui est sûr c'est que le fait de participer à de plus en plus de salons grand public m'a apporté une ouverture vers le marché des particuliers.
Quant au marché international, il est encore à développer. J'ai travaillé en Suisse, je commence à avoir des contacts aux États-Unis dans des musées ou des galeries, et je devais participer à un évènement à Londres, mais il a été reporté en raison de l'épidémie de Covid-19. Quant à des collaborations avec des artistes ou des designers étrangers, pourquoi pas.
Bar verre texture©fredericmartin
Quelle est la place de la vente en ligne dans votre démarche commerciale ?
J’ai une boutique en ligne, dont je m'occupe moi-même, comme je m'occupe du site Internet et des réseaux sociaux. C'est vrai que c'est quelque chose qui prend beaucoup de temps mais, pour moi, c'est important, je considère cela comme une vitrine.
En effet, quelques-unes de mes ventes se font via ma propre boutique en ligne, ou via des plateformes telle Catawiki, mais le fait de vendre en ligne me permet surtout d'afficher mes prix et de donner une idée du coût de mes créations.
Mettre en place la vente en ligne demande du temps mais, pas tant pour la gestion de la boutique, dans mon cas, que pour la prise des photos. Certaines des photos du site ont été prises par un ami photographe, d'autres par moi-même, et c'est une activité très chronophage et délicate, surtout lorsqu'il s'agit de mettre en lumière une matière telle que le verre.
Dans votre parcours d'artisan d'art, y a-t-il eu un moment où vous avez été confronté à un défi, à un cap, dans le développement de votre activité ? Et comment l'avez-vous abordé ?
C'est drôle que vous posiez cette question parce que j'ai ce sentiment exact en ce moment ! C'est un moment d'effervescence, beaucoup de bonnes nouvelles arrivent et des projets se débloquent, j'ai le sentiment que toutes ces années de travail sont en train de de payer.
La question se pose bien sûr de bien gérer cette diversité de possibilités et de garder une direction pour ne pas se perdre. Je sais ce que je veux faire, je sais ce qui me plaît, et pour cela je pense par exemple à bien sélectionner les évènements auxquels je participe, à davantage cibler les clients et à varier les projets, pour que cela soit intéressant pour moi et pour l'entreprise.
Cela n'exclut pas l'idée de se faire parfois accompagner. Pour moi, même si j'ai beaucoup appris auprès de mon père, il est très important de rencontrer d'autres façons de produire et de réfléchir, d'échanger avec d'autres professionnels, de se former, aussi, à condition bien sûr qu'il s'agisse de formations réellement utiles au développement de l'entreprise.
Que répondriez-vous à quelqu’un qui vous dit « je veux faire ce métier, et je veux en vivre » ?
Le savoir-faire est bien évidemment fondamental mais, pour quelqu'un qui doit en vivre, le premier conseil que je donnerais c'est de sécuriser financièrement les débuts de son activité, de son entreprise. Quitte à avoir un autre travail à côté, s'il le faut, pour être autonome.
Aujourd'hui, je vis de mon travail mais, à mes débuts, j'ai travaillé pendant 3-4 ans avec un traiteur dans l'événementiel. Certes, je suis également passionné de cuisine, mais cela m'a surtout permis de payer mes factures, d'avancer dans mon travail de création et de pérenniser mon activité, tout en évitant beaucoup de stress.
Et aussi, c'est important, de préserver la vie personnelle, car nous sommes tellement immergés dans le processus de création qu'il peut nous arriver d'oublier tout ce qui se passe à côté.
Diffraction XL©atelier Verre Design
Perturbations©fredericmartin